Un des (nombreux) symptômes de la crise écologique, c’est la crise de l’eau.
Comme les autres symptômes, elle est liée aux activités anthropiques et le résultat d’un modèle - en l’occurrence agricole - qu’il convient de changer pour la préserver. Nous avons eu le plaisir d'interroger Juliette Duquesne, journaliste spécialiste de l'écologie, co-signataire d'une tribune dans Le Monde du 30 août 2022 intitulée "Face à la sécheresse, changeons de modèle agricole" pour aborder ce sujet.
Retour sur les raisons de cette tribune.
Tribune également co-signée par Benoît Biteau, paysan agronome et euro-député (Verts/Alliance libre européenne) ; Thierry Ruf, agronome, géographe, vice-président de la Régie publique de l’eau de Montpellier métropole ; Julie Trottier, géographe, directrice de recherche CNRS.
Dans cet entretien, vous trouverez beaucoup d’informations, de concepts et de chiffres décryptés. On en partage l’essence et un peu plus ci-dessous. Ce dont on n’a pas parlé en revanche, c’est du fait que l’être humain adulte est (en moyenne) à 65% composé d’eau (source CNRS) et que s’il passe plus de 3 jours sans eau, il meurt.
Cycle de l’eau, de quoi parle-t-on ?
Juliette Duquesne nous explique qu’il faut distinguer deux phénomènes, le grand cycle de l’eau (cycle naturel) et le petit cycle de l’eau (cycle domestique).
Le grand cycle de l’eau (cycle naturel)
On parle ici des grands équilibres naturels de l’eau, dont voici la définition du Centre d’information sur l’eau :
L’eau opère un circuit fermé qui est le même depuis des milliards d’années.
L’eau des mers s’évapore dans l’atmosphère sous l’effet de la chaleur du soleil. Elle forme ensuite des nuages qui vont se déplacer sous l’impulsion des vents. Aidées par l’effet de gravité, les gouttelettes qui constituent les nuages s’alourdissent et retombent sur le sol sous forme de précipitations (pluie, grêle, neige).
Ces eaux pluviales vont permettre d’alimenter les nappes phréatiques souterraines qui vont recharger les cours d’eau, lesquels se jetteront à leur tour dans la mer.
Et ainsi, de la mer au ciel, du ciel à la terre et de la terre à la mer, le voyage de l’eau recommence à l’infini.
© Cieau
Notre planète contient un volume d’eau total d’environ 1,4 milliard de km3. Cette quantité d’eau demeure la même depuis son apparition sur Terre. Ces 1,4 milliard de km3 se composent de 97,17 % d’eau salée et de 2,83 % d’eau douce. Ils forment l’hydrosphère, c’est-à-dire l’ensemble des réserves d’eau de la Terre.
L’eau salée couvre 2/3 de la surface de la Terre et se trouve dans les mers, les océans et les banquises.
Le sel qu’elle contient provient des roches et des minéraux qui sont entrés en contact avec elle.
L’eau douce provient essentiellement des précipitations. On la trouve à différents niveaux :
à 76 % dans les glaciers
à 22,5 % sous la terre : nappes phréatiques et nappes profondes et captives
à 1,26 % sur la terre : eaux de surface (lacs, rivières, étangs…)
à 0,04 % dans l’air : nuages, pluies, brouillard, brume
Le petit cycle de l’eau (cycle domestique)
L’office français de la biodiversité (OFB) explique qu’au-delà du cycle naturel de l’eau, des installations et un circuit ont été mis en place, pour l’usage de cette ressource par l’Homme, afin de la rendre potable et d’assurer le traitement des eaux usées avant le rejet dans le milieu naturel.
Le « petit cycle de l’eau » désigne ainsi le parcours que l’eau emprunte du point de captage dans la rivière ou la nappe d’eau souterraine jusqu’à son rejet dans le milieu naturel. Il comprend le circuit de l’eau potable et celui du traitement des eaux usées.
Ce chemin est composé de sept étapes :
Le prélèvement d’eau brute
La potabilisation de l’eau
Le stockage de l’eau potable
La distribution de l’eau potable
La collecte des eaux usées
Le traitement des eaux usées (assainissement collectif – concerne 85 % des usagers)
Le rejet au milieu naturel
Source : OFB
Ne pas confondre prélèvement et consommation
L’eau consommée correspond à la partie de l’eau prélevée non restituée aux milieux aquatiques. Cette part est très variable selon les utilisations. En moyenne, entre 2008 et 2018, le volume annuel d’eau consommée est estimé à 5,3 milliards de m3 en France métropolitaine (soit environ 20 % de l’eau prélevée, hors alimentation des canaux), ce qui représente 82 m3/habitant. (Source : ministère de la transition écologique).
Selon l'Organisation mondiale de la Santé, « un minimum vital de 20 litres d’eau par jour et par personne est préconisé pour répondre aux besoins fondamentaux d’hydratation et d’hygiène personnelle. »
Pour vivre décemment : 50 litres d’eau par jour et par personne.
Pour un réel confort : à partir de 100 litres par personne et par jour.
Tous les pays développés se situent bien au dessus de ces seuils. La consommation moyenne d’un.e français.e est de 138 litres d’eau par jour.
Modèles agricoles : faits et chiffres
Au l’échelle mondiale, 70% des prélèvements de la ressource en eau le sont pour l’agriculture.
En France, l’agriculture consomme 45% de l’eau (avec des pics allant jusqu’à 79% l’été).
Le reste de la consommation d’eau se répartit entre la production d’énergie (30,5%), la consommation domestique (20,5%) et l’industrie (4%).
80 % de la production mondiale est réalisée par l’agriculture familiale, en grande majorité des petites exploitations qui n’occupent que 12 % des terres agricoles, selon l’édition 2015 du rapport de la FAO.
La FAO prévoit une augmentation des besoins en eau de l’ordre de 50% d’ici à 2050, alors que le contexte écologique fait que la ressource va devenir de plus en plus rare. La majorité de la production agricole mondiale, céréalière, est destinée à nourrir les animaux d’élevage (bovins, moutons, volailles, etc.). L’élevage étant très gourmand en eau, c’est pour cette raison - entre autres ! - que la viande est considérée comme peu écologique.
Quelles solutions pour préserver la ressource en eau ?
L’agriculture biologique, l’agro-écologie, la permaculture, l’agroforesterie, etc. sont autant d’alternatives complémentaires vers lesquelles le modèle agricole dit traditionnel devrait tendre pour économiser la ressource en eau. Mais pas seulement : ces modèles agricoles ont en commun une production sans intrants chimiques (pesticides, fertilisants, etc.), donc plus respectueux de l’environnement et sans danger sanitaire pour les agriculteur.rice.s, riverain.e.s des exploitations et les consommateur.rice.s. Chacun avec ses spécificités :
Agriculture biologique
L'agriculture biologique est un mode de production agricole excluant l'emploi de substances de synthèse, tels que les pesticides, les médicaments ou les engrais de synthèse, et d'organismes génétiquement modifiés. Peuvent bénéficier de la mention "agriculture biologique" les produits agricoles, transformés ou non, qui satisfont aux exigences de la réglementation de l'Union européenne relative à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques ou, le cas échéant, aux conditions définies par les cahiers des charges homologués par arrêté du ou des ministres intéressés sur proposition de l'Institut national de l'origine et de la qualité (article L641-13 du code rural). Source : INSEE.
Agro-écologie
Agro = agriculture ; Logo = réfléchir ; éco = maison (ici la Terre). En d’autres termes, il s’agit d’un mode d’agriculture pensé en fonction de la nature. À l’inverse de l’industrie qui cherche à produire en masse, l’agro-écologie produit en harmonie avec la nature et cherche à préserver et développer la biodiversité. En plus des techniques comme le compostage, la recherche de complémentarité entre les espèces, la préservation des sols, etc., l’agroécologie cherche à intégrer dans sa propre pratique l’ensemble des paramètres de gestion écologique de l’espace cultivé comme l’économie et la meilleure utilisation de l’eau, la lutte contre l’érosion des sols, le développement de haies, le reboisement, etc.
Permaculture
Concept un peu philosophique, la permaculture est un terme que l’on doit à l’australien Bill Mollison, contraction de « permanent » et de « culture », dont voici sa définition : La permaculture est une démarche de conception éthique visant à construire des habitats humains durables en imitant le fonctionnement de la nature. Il s’agit une méthode de conception et d’aménagement des activités et des espaces humains. Permettant d’assurer leur durabilité et leur résilience d’un point de vue à la fois écologique, économique et social.Cette méthode est fondée sur une éthique et des principes et s’appuie sur les modèles traditionnels et naturels, mais aussi sur les dernières innovations scientifiques.
Agroforesterie
D’après le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, l’agroforesterie est l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle. Cette pratique ancestrale est aujourd’hui mise en avant car elle permet une meilleure utilisation des ressources, une plus grande diversité biologique et la création d’un micro-climat favorable à l’augmentation des rendements.
Juliette Duquesne et les cosignataires de la Tribune y expliquent que « Nous pourrions tout à fait nourrir le monde, incluant l’Europe, avec ces pratiques agricoles. Plusieurs travaux scientifiques le prouvent, dont ceux de Gilles Billen. Pour y parvenir en Europe, il faudrait réduire notre consommation de viande de 50 % et manger local afin que chaque déchet serve de ressource ».
La preuve par l’exemple !
A Sablonceaux (Charente-Maritime), une exploitation de 255 hectares de maïs a été transformée, il y a vingt ans, en ferme de polyculture (élevage, céréales, légumineu- ses, agroforesterie...) qui ne requiert aucune irrigation. Résultat : la consommation an- nuelle d’eau d’une ville de 7000 habitants est économisée et un niveau de production similaire est maintenu.
Les citoyen.ne.s doivent (aussi) faire leur part
Si le modèle agricole est un gros consommateur d’eau, nous, consommateurs et consommatrices, avons aussi un rôle primordial à jouer. En ayant conscience de la préciosité de l’eau et en adoptant des comportements responsables, nous pourrions diminuer notre consommation par deux. Et ce n’est pas rien !
Quelques pistes :
pour que les modèles agricoles vertueux deviennent dominants et trouvent des débouchés, nous pouvons végétaliser notre alimentation, favoriser les achats en circuits courts et directs (si possible aux producteurs et productrices), favoriser des produits peu transformés, accepter de consacrer un budget plus important - quand on le peut ! - à l’achat d’une nourriture saine, éthique, écologique.
Éviter le gaspillage en intégrant des mousseurs - qui économisent l’eau - à nos robinets ou des pommeaux de douche permettant d’économiser jusqu’à 75% de la consommation, en réduisant la durée de nos douches, en privilégiant la douche plutôt que le bain (50L vs.150L)
Faire la chasse aux fuites d’eau (un robinet qui fuit peut consommer jusqu’à 120L d’eau par jour, une chasse d’eau 600L = la consommation quotidienne d’une famille de quatre personnes).
Mettre une bouteille en plastique dans sa chasse d’eau (ça permet d’économiser 1,5L à chaque chasse).
Faire installer un récupérateur d’eau de pluie (quand c’est possible) dans son jardin. Une gouttière d’un toit de 100m2 peut permettre la collecte de 70 000 litres d’eau par an. Super économe… et gratuit !
Réaliser des travaux (pas très lourds) pour que les eaux domestiques usées (douche, évier, etc.) servent à alimenter, après filtrage, l’eau des toilettes… oui, jusqu’ici, on fait caca dans l’eau potable !
Retrouvez les enquêtes et le travail de Juliette Duquesne : https://carnetsdalerte.fr/tag/eau/
Objectifs de développement durable de l'ONU en lien :
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