C’est l’une des questions que le lectorat des Pandas Roux nous a posées au début de l’été. Pour tenter d’y répondre, nous nous sommes entretenu avec Louis-Pierre Geffray, coordinateur des programmes au sein de l’Institut des Mobilités en Transition, structure qui tente d'objectiver ces questions de mobilité(s) dans le cadre de la transition écologique et sociale. Esquisses de réponse dans l’épisode 19 du Pandas Cast et dans l’article ci-dessous.
« On est attaché à la bagnole. On aime la bagnole… Et moi, je l’adore », proclame Emmanuel Macron dans un entretien télévisé accordé à France 2 et TF1 le dimanche 24 septembre 2023, censé être consacré à l’écologie. Chez Les Pandas Roux, on croit que la question n’est pas tant d’aimer ou non la voiture mais de constater que nos sociétés modernes ont été construites autour de ce moyen de transport, qu’il prend énormément de place dans l’espace publique, qu’il n’est écologiquement pas soutenable à court-moyen terme dans sa configuration « moteur thermique » et qu’il convient donc de trouver des solutions alternatives pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Sans parler des externalités négatives dans les domaines économique, social et sanitaire. Si la voiture électrique s’est un temps imposée comme l’une d’entre elles pour répondre à cet objectif (et elle l’est en partie!), elle est en ce moment victime d’un backlash médiatique et, par ricochet, dans l’opinion publique. Pourtant, du côté des expert·es et des industriels, son déploiement est acté, comme nous le rappelle Louis-Pierre Geffray, coordinateur de programmes au sein de l’Institut des Mobilités en transition.
« Faire le lien entre la recherche académique et les décideurs publics »
L’Institut des Mobilités en Transition est « une association à but non lucratif ayant pour objectif de produire des analyses et des recommandations qui s’appuient sur la donnée, l’expertise, et la concertation multi parties-prenantes, pour favoriser la transition » peut-on lire sur son site. Il a été créé par l’IDDRI, l’Institut du Développement durable et des relations internationales, un think tank qui réunit entre autres des agences de l’État (Ademe, l’Agence Française de développement…), des entreprises du CAC 40 (BNP Paribas, EDF, Engie…), des centres de recherche (CNRS, Inra…) et des acteurs de la société civile comme Laurence Tubiana, Jean Jouzel… L’ambition affichée de l’Institut des Mobilités en Transition est « de faire le lien entre la recherche académique et les décideurs publics en France et au sein de l’Union européenne » pour réussir la décarbonation de nos modes de transports routiers à court et moyen termes. Pour tenir les engagements de l’Accord de Paris pour le Climat, dont la neutralité carbone est l’un des principaux objectifs.
Quelques chiffres sur la voiture…
En France, les transports sont responsables de 30% des émissions de gaz à effet de serre. 85% de ces émissions proviennent du transport routier et 62% de la voiture.
© SDES Institut Mobilités en Transitions
2035, date à laquelle un objectif de fin de vente des véhicules légers neufs thermiques a été fixé à l’échelle de l’Union européenne.
39,3 millions de voitures circulent en France, dont 95,6% roulent exclusivement à l’essence ou au diesel et 2,2% sont électriques.
Chiffres au 1er janvier 2024 - © SDES
L'ACV, méthode pour connaître l’impact environnemental de la voiture (entre autres)
Qu’elles soient thermiques ou électriques, les voitures ont un impact écologique (et même sociale et sanitaire) tout au long de leur vie. Pour le mesurer, on utilise la méthode ACV : l’Analyse de Cycle de Vie. C’est une méthode multi-critères qui recense et quantifie les flux de matières et d’énergie d’un produit « du berceau jusqu’à la tombe ». Les flux entrants (consommation de matières premières, d’eau, de pétrole, de charbon, de gaz, etc.) et les flux sortants (émissions gazeuses, liquides rejetés, etc.). Elle permet ainsi d’évaluer les impacts environnementaux du produit dans les cinq phases de sa vie :
Approvisionnement en matières premières : extraction, transformation, acheminement
Fabrication du produit fini : assemblage, emballage, construction, etc.
Mise en circulation : distribution et commercialisation
Utilisation du produit : déballage, usage, entretien, etc.
Fin de vie : collecte, recyclage, traitement des déchets, etc.
Elle est utilisée dans le secteur automobile depuis le milieu des années 2000.
Véhicule thermique vs. véhicule électrique : il n’y a pas match !
Dans l’entretien audio (qu’on vous recommande vivement d’écouter), Louis-Pierre nous explique que l’objectivation de la performance environnementale d’un véhicule grâce à l’ACV est une science qui existe depuis une vingtaine d’années. Et elle permet d’établir aujourd’hui, qu’en moyenne, un véhicule électrique a un impact environnemental deux fois moins important qu’un véhicule thermique en Europe, et trois fois moins en France. La différence entre la France et l’Europe tient au fait que la France dispose d’une mix électrique globalement décarboné pour faire rouler ses véhicules électriques là où la production d’électricité de certains pays (comme l’Allemagne) repose en partie sur des centrales à charbon (gaz à effet de serre le plus délétère pour le climat). Louis-Pierre ajoute aussi que les véhicules les plus économiquement profitables pour les constructeurs sont les plus gros et les plus lourds. Ceux-là mêmes dont l’Analyse de Cycle de Vie est la moins bonne, qu’ils soient thermiques ou électriques.
Circularité et frugalité, clés du succès ?
La réponse est dans la question : moins les véhicules auront nécessité de matière(s), plus cette matière sera d’origine renouvelable et/ou facile à recycler et plus les véhicules seront « écologiques ». C’est ce qu’a d’ailleurs parfaitement compris l’entreprise rochelaise Avatar Mobilités qui développe actuellement un véhicule électrique ultra-léger, peu gourmand en matière première et le plus économique à l’usage possible, idéal pour les trajets du quotidien grâce à son autonomie de 150 km (dont 30km peuvent être assurés gratuitement chaque jour grâce à ses panneaux solaires). Louis-Pierre nous confie dans l’entretien que les constructeurs travaillent d’ailleurs sur la circularité des matières (leur réutilisation après une première vie) comme c’est le cas de l’acier. De là à dire que les constructeurs sont prêts à la frugalité, il y a un fossé que nous ne franchirons pas… Pourtant, qu’il y ait recyclage ou non, que le véhicule soit électrique ou non, la matière première viendra à manquer si nous poursuivons sur la pente actuelle de production dans les décennies à venir comme on peut l’entendre dans ce débat réellement passionnant sur RFI : « Peut-on se passer de la voiture ? »
Le saviez-vous ?
Dans les années 1920, les métropoles des États-Unis avaient largement développé les tramways électriques. Pourtant, 30 ans plus tard, « la bagnole » les a complètement remplacés. Découvrez pourquoi dans « Qui a eu la peau du tramway ? »
Moins de voiture : repenser nos territoires pour repenser la mobilité ?
Il n’y a pas que les véhicules qui sont gourmands en ressources : les routes, les parkings, les infrastructures routières en général le sont et ont d’autres inconvénients comme l’artificialisation et l’imperméabilisation des sols qui ont elles-mêmes des conséquences néfastes : érosion de la biodiversité, création d’îlots de chaleur à cause du béton (lui-même très gourmand en énergie fossile), ruissellement en cas de fortes pluies, conflits d’usage avec des terres agricoles et des zones naturelles, etc. Le souci, c’est que nos territoires ont intégralement été développés autour de la voiture et des routes depuis près d’un siècle et, ce faisant, parfois délaissés en services publics, activités économiques et agricoles… Ils sont donc aujourd’hui ultra-dépendants de la voiture. Difficile, dès lors, de s’en passer. D’ailleurs, les projections de l’Institut des Mobilités en Transition montrent qu’à horizon 2035, le parc de véhicules en France ne devrait pas décroitre énormément malgré la mise en oeuvre de solutions alternatives : vélo, co-voiturage, trains… Il s'agit de repenser l'aménagement du territoire. Et pour cela avoir des politiques publiques volontaristes. Qui s'inscrivent dans le temps long et réclament des financements. Et pour l’heure, l’ambiance est davantage aux coupes budgétaires au sein de l’État et des collectivités territoriales et des cadeaux au secteur privé. Pourtant, les études montrent que les modes de développement territoriaux permettent davantage de robustesse et de résilience économique, en plus d’être socialement et écologiquement plus vertueux.
"Laissée à elle-même, la bagnole finit par se détruire.
Le temps que sa rapidité nous donne, elle nous le reprend aussitôt pour nous expédier ailleurs [...]. Elle nous mène à la campagne mais, bientôt, l'auto aidant, nous ne trouverons plus à cent kilomètres de voiture la baignade ou la verdure
qui nous attendaient à cinq minutes de marche."
Bernard Charbonneau
Quelques alternatives à l’auto-solisme
L’auto-solisme, c’est le fait de circuler seul·e dans sa voiture. Phénomène qui fait grimper en flèche les émissions de gaz à effet de serre d’une personne. Heureusement, nées de l’intelligence collective, un tas d’alternatives à l’auto-solisme existent un peu partout sur les territoires pour réaliser les trajets du quotidien. Qui demandent de la volonté et un peu d’organisation mais qui en échange peuvent être sources de belles histoires. Quelques exemples :
> Les pédibus : dans pas mal de villes désormais, des trajets domicile-école à pieds ou en vélo-bus avec plusieurs arrêts ont été mis en place. Les parents, délestés du prétexte… euh de la charge d’amener leur enfant à l’école peuvent alors trouver une alternative type vélo ou transport en commun pour aller au travailler (quand c’est possible bien sûr !)
> Des navettes autonomes à partager : c’est ce que va mettre en place la commune de La Jarrie près de La Rochelle. D’abord sous forme de test, la navette électrique, incluse dans le dispositif Yélo, permettra de réaliser des trajets dans les communes rurales alentour sur demande, via l'application idoine.
> Des dispositifs de transports multi et inter-modaux : c’est le cas du dispositif Yélo à La Rochelle, qui centralise, via un abonnement et carte uniques, l’accès aux réseaux de bus, aux vélos et voitures électriques en libre partage, aux bus de mer électro-solaires et aux six gares de TER de l’agglomération de La Rochelle.
> Le développement des transports ferroviaires comme c’est le cas au Japon où les activités économiques se sont globalement développées autour des gares.
> Le développement de vélos en tous genres : cargos, avec des places pour les enfants, transporteurs de palettes, etc.
> Le covoiturage : d’un point à un autre grâce au bon sens entre voisins ou via une application, ou sous forme d’arrêts de bus.
Et vous, vous avez forcément des idées ? Le vélo-rail ?
Bref, nous ne sommes pas sans moyens. Il nous semble que la question posée est celle de la volonté. Politique. Individuelle. Collective. Qui inclut à la fois envie de faire autrement et acceptation de renoncer à certaines facilités. Pour ce qui est de notre expérience, on a longtemps cru que la voiture était synonyme de liberté (et elle l’a été à notre échelle), mais s’en débarrasser, paroles de Pandas Roux, est une autre forme de liberté.
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